Voilà presque dix ans que j’ai quitté la France, prenant au mot Yannick Noah: « si Sarkozy passe, j’me casse. » C’était en mai 2007.

Lui ne l’a pas fait, mais ça m’a inspiré. À ce moment-là, je suis professeur de musique dans une école municipale dans la banlieue de Nancy, où je suis né, mais où je n’ai pas de famille, mon père étant de l’Aube et ma mère, Provençale. Pas vraiment d’évolution en perspective, un horizon trop bouché à mon goût. C’est alors que j’ai l’opportunité de m’installer en Colombie, à Bogotá, comme professeur de français, et d’y commencer une nouvelle vie. Les contacts sont essentiels, et c’est grâce aux miens, à la patience et l’acharnement que je concrétise le projet en entrant à l’Alliance Française de Bogotá.

Les premiers jours en Colombie sont chaotiques, il faut apprendre à se repérer et se déplacer dans la ville, s’adapter aux manières locales (combien de fois m’a-t-on doublé, dans les files des magasins ou administrations), des nouvelles manières de manger, sortir, se faire des amis… C’est sans doute le plus long, comme mon espagnol est limité, je ne peux pas faire de blagues ou de jeux de mots, sans compter que les Colombiens me trouvent froid, ce qui est bizarre pour moi puisqu’en France c’était plutôt le contraire. J’apprécie particulièrement ma nouvelle ville, simplement se promener dans les rues est un spectacle et un apprentissage. Il se passe toujours quelque chose à Bogotá, et c’est en s’immergeant dans une autre culture que l’on comprend mieux la sienne, et donc, d’où l’on vient, ce qui fait inconsciemment partie des résultantes du voyage.

Mon travail est une excellente manière de découvrir la société, au moins une certaine partie, celle qui a les moyens de payer les cours. Comme un des principes des cours de langues est de faire raconter leurs vies aux élèves, je collectionne les récits biographiques.

À gauche : Olivier Lestriez.

À gauche : Olivier Lestriez.

Au fil des années je collectionne les expériences, voyages en bus qui font ma joie, à Medellín, Santander, Valle, Caraïbes. Quelle diversité, spectacle permanent pour qui sait observer. Je découvre des collèges, des universités, des entreprises, je me fais de nouveaux amis, colombiens mais aussi français. En effet, la communauté française à Bogotá est relativement importante, la seconde en nombre après les états-uniens.

J’avoue ne pas être à l’aise avec la bourgeoisie plus ou moins conservatrice dont sont issus les diplomates et autres investisseurs expatriés, et je cherche plutôt les soirées salsa et les concerts de rock. Et là aussi je fais des rencontres de compatriotes, avec lesquels les liens sont plus forts. En effet, nous nous livrons ensemble à notre passion commune, le jazz manouche. Je suis contrebassiste, Sam est guitariste, Victor clarinettiste et nous complétons le groupe avec Sergio, un guitariste de la ville de Pasto qui, sous couvert d’être anthropologue, est ouvert à toutes les expériences. Ce petit groupe, le Gypsy Jazz Quartet, fera du chemin avec les années, en devenant Burning Caravan. Les musiciens vont et viennent, trompettiste russe, clarinettiste colombien, chanteur chilien, et des nouveaux instruments, l’accordéon, le saxophone, la batterie.

Je mène désormais une double vie de professeur et de musicien, les journées sont trop courtes. Je suis à un croisement, et je commence à ralentir le rythme de mes classes, privilégiant mon activité musicale. Il faut dire que mon employeur me pousse sur cette voie, ainsi que beaucoup d’autres collègues: nous sommes trop chers, le pays me rattrape par le biais de la nouvelle direction, fraichement débarquée de la métropole. Tout ça nous conduira à créer un syndicat, dont j’ai été un des leaders, un des premiers à « ne pas voir son contrat renouvelé », dans la novlangue des adeptes de la religion féroce. C’était fin 2013. Cette année 2016, ils étaient vingt et un dans ce cas.

Avec ma compagne nous avons un autre projet, non lucratif, celui d’aider les chats errants et maltraités des rues de Bogotá. Je lui ai transmis ma passion pour les petits félins, et comme je connais le cas des SPA en France, nous nous sommes progressivement engagés auprès des animalistes, jusqu’à créer notre propre fondation, Adopta Bogotá. Nous avons beaucoup de chats à la maison et promouvons l’adoption responsable.

"Nous avons ouvert pour Emir Kusturica, nous avons joué à la Media Torta et sur la Place Bolívar. Cette année nous sommes à Rock al Parque à Bogotá, le plus grand festival de rock d’Amérique latine."

Quant à moi, j’ai déménagé dans un quartier populaire et je me suis adapté à ma nouvelle vie, consacrant mon temps et mon énergie à la musique, qui est devenue mon activité principale. Beaucoup de concerts dans des restaurants et des hôtels pour assurer le quotidien, forcément réduit, et la carrière principale qui décolle lentement et sûrement. L’intégralité de mon activité se concentre sur Burning Caravan, ce qui me permet de maximiser le rendement.

Nous sortons notre deuxième disque LP, les deux enregistrés à Bogotá dans le studio d’Arbol Naranja et mixés à Buenos Aires par Mario Breuer, le légendaire ingénieur de Charly García, Los Fabulosos Cadillacs, Mercedes Sosa et des centaines d’autres. Un rêve qui se réalise, après avoir écouté des quantités de rock en espagnol quand je vivais en France, ajoutons Café Tacuba et Aterciopelados à la liste de mes idoles. Et Alejandro Duque, premier batteur de ce dernier groupe, est aujourd’hui le batteur numéro 1 de Burning Caravan.

À Bogotá, nous avons ouvert pour Emir Kusturica, les 5-6-7-8’s, nous avons joué à la Media Torta et sur la Place Bolívar. Cette année nous sommes à Rock al Parque, le plus grand festival de rock d’Amérique Latine, et invités au concert Radiónica en septembre. L’année dernière nous avons participé au festival Iboga Summer Fest, à Valence en Espagne, aux côtés de groupes comme Asian Dub Foundation.

Nous venons en Europe cet été pour une tournée estivale pour la deuxième année consécutive, en France et en Espagne. Les gens en Colombie m’ont dit souvent que Burning Caravan ne fait pas de la musique populaire, ce que je comprends mais ne ressent pas, puisqu’en France c’est bien de la musique populaire. Pour les Colombiens, le jazz à la française est considéré comme élitiste.

Plus d'infos

www.burningcaravan.com

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