À la suite du coup d’État en Uruguay, trois activistes à la tête du mouvement politique d’extrême gauche Tupamaros sont arrêtés et placés en détention. Au lieu de les exécuter, la junte militaire décide de les garder comme otages, qui peuvent être fusillés à la moindre action de leurs compagnons d’arme restés en liberté, et d’utiliser diverses techniques pour les rendre fous, faute de pouvoir les tuer.

Sans autre forme de procès, ils sont confinés dans de minuscules cellules et transférés de prisons en lieu de détention aussi secrets que précaires, pendant douze ans.

Condamnés à l’isolement et dans un état de privation absolue, leurs corps et leurs esprits sont soumis à d’infâmes supplices et tortures : frappés, affamés, privés de lumière et de tout contact, ils ne peuvent pas se parler, à peine voir, manger ou dormir. Au fur et à mesure, ils sont poussés à bout, physiquement et moralement, au-delà des limites de l’imaginable et du supportable.

L’accent est mis sur les effets psychologiques de l’enfermement et des moyens mis en œuvre pour déstabiliser les prisonniers et leur faire perdre toute humanité. L’absurdité de cette situation est telle que, même dans ces conditions, privés de tout, ils sont encore considérés comme une menace pour le pouvoir en place.

La question qui se pose alors est : que reste-il d’un homme lorsqu’il est isolé, qu’il perd la notion du temps et qu’il est dépouillé de tout ce qui en fait un individu ? Même ses propres sens commencent alors à lui faire défaut.

Pourtant, en son for intérieur, subsiste quelque chose que personne ne peut lui enlever : son imagination.

En effet, malgré les conditions de détention inhumaines présentées, ce qui touche le plus, c’est le combat quotidien de ces hommes pour résister aux pressions et aux châtiments, mais surtout leur force et leur créativité pour faire face et aller de l’avant.

Pour survivre, ils ont dû se réinventer depuis les restes de leur condition humaine, en se replongeant dans les moments heureux de leurs vies, en inventant un système de communication par le biais de coup sur les murs et en s’accrochant à de petits riens : des images, des sons, un brin de soleil. Résister est le mot d’ordre pour échapper à une réalité sinistre qui devrait les condamner à la folie.

Trois anciens guerrilleros qui ont participé à la construction de l’Uruguay d’aujourd’hui

Au fil des 12 années d’emprisonnement, le film montre que, malgré les moments difficiles, l’espoir est plus fort que l’enfermement.

Les prisonniers ne sont ni plus ni moins que : Eleuterio Fernández Huidobro (« Ñato »), ancien sénateur, vice-président et ministre de la Défense de l’Uruguay (2011-2016), Mauricio Rosencof, journaliste, poète et directeur de la culture de la municipalité de Montevideo depuis 2005, et José Mujica (« Pepe »), ancien député, sénateur, puis président de la République entre 2010 et 2015. Exemples de résilience, ils joueront par la suite un rôle important dans l’histoire de l’Uruguay contemporain.

Le passé tourmenté de ces figures clés du pays invite à la réflexion sur des questions pour le moins essentielles, telles que la dignité, le pardon et le rejet de la vengeance personnelle.

Compañeros est une descente vers l’obscurité. L’objectif est d’acculer l’individu dans ses recoins les plus intimes et de le faire sombrer dans la folie.

Difficile de retracer en 2 heures, 4323 jours d’enfer, mais l’immersion est bouleversante. Loin du pathos, le film s’attache davantage à montrer l’errance existentielle de ces otages. Au-delà de la méticuleuse recréation des faits historiques, c’est un voyage esthétique et sensoriel, basé sur de nombreux petits détails, pour dévoiler la bataille intérieure pour la survie.

Les trois acteurs, qui ont dû réaliser un intense travail de conditionnement physique et mental pour se mettre dans la peau des personnages, sont bouleversants d’humanité et portent le film avec une finesse et justesse d’interprétation qui provoquent une grande empathie.

La mise en scène intimiste nous emmène à leurs côtés, et nous plonge dans la lutte personnelle de ces êtres pour la préservation de l’Homme.

Sans aucun larmoiement ou recours à une violence exagérée, ce récit puissant magnifie la résistance à la douleur et la souffrance, ainsi que la force de l’engagement de l’être humain et l’immortalité des convictions, même au fin fond de l’enfer.

Même si le message politique est relégué au second plan pour mettre en avant l’individu, c’est une oeuvre militante et un hymne politique à tous ceux qui vont jusqu’au bout de leurs forces pour défendre et préserver leurs idéaux.

Cette histoire, véritable leçon d’humanité, méritait d’être connue.

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