Nicola Cruz.

Des bancs de la fac à Mendoza, les premiers contacts avec l’Argentine et l’électro cumbia

Il y a des histoires qui commencent à l’école. Celle d’Emile Turbet Delof commence en 2014 à l’Université de Paris III, dans le cadre d’un Master en Conception et Direction de Projets Culturels. Il a commencé à écrire son mémoire sur le mouvement de l’électro folklore et le lien passionnant qui existe entre le mouvement musical, son évolution et les questions d’identité culturelle et nationale, l’argentinidad. Quelques mois plus tard, Emile part en échange universitaire à Mendoza où il a commencé à rencontrer des artistes locaux. « Je suis tombé sous le charme de ce pays et de sa culture », raconte-t-il. Pendant son année passée à Mendoza, il a constaté un bouillonnement culturel permanent et beaucoup de jeunes artistes à la recherche d’identités et de créations musicales nouvelles.

Dans les années 1990, l’Argentine est marquée par l’emprise culturelle des Etats-Unis, ce qui laisse peu de place à la scène locale, plus attirée par le modèle de l’oncle Sam que par la création de ses propres codes. Les musiques populaires comme la cumbia ont une connotation sociale très négative, et les cultures précolombiennes n’ont pas leur place sur le devant de la scène culturelle. En effet, depuis la colonisation et jusqu’au 20ème siècle, les populations indigènes ont été longtemps persécutées. Les gouvernements successifs ont favorisé une uniformisation culturelle « européanisante », ignorant la diversité et la richesse des populations originelles. C’est l’époque du 1 dollar = 1 peso argentin. La mode est à ce qui est importé des Etats Unis et d’Europe…jusqu’à la crise de 2001.

Emile Turbet Delof. Crédit : Juan Matias Staffolini.

Emile Turbet Delof. Crédit : Juan Matias Staffolini.

Sur les cendres encore chaudes de la grande crise économique et sociale de 2001, la naissance de l’électro cumbia et son exportation en Europe

Dans son mémoire, Emile parcourt longtemps ce fait historique en Argentine qu’est la crise économique de 2001 : « La dévaluation du peso argentin a eu pour conséquence de déclasser une grande partie du pays et en particulier les classes moyennes et populaires. Les artistes actuels ont grandi avec la crise et cela a profondément modifié la scène culturelle locale et notamment la scène musicale. Les gens n’ont plus les moyens de se tourner vers les Etats-Unis. C’est le temps de la débrouille », dit Emile. Ainsi, les jeunes artistes redécouvrent les musiques traditionnelles et leurs instruments. Ils jouent un rôle social fort en puisant dans leurs origines indigènes et en restaurant symboliquement un pan de culture et d’histoire que l’on voulait enterrer.

C’est autour de 2005 que s’affirment différents artistes producteurs de musique électronique en Argentine. Chacun, selon ses origines, propose un mélange inédit entre musique folklorique, populaire et électronique. Des artistes naissent comme les Faauna qui sont connus pour leur goût de la cumbia villera (musique des quartiers populaires connus comme « villas ») et du Drum & Bass. El Remolón, lui, était producteur de minimal techno. Finalement, tous ces artistes ont été rassemblés par le Zizek Club, qui a démarré en 2006. Cette fête hebdomadaire prenait place au Niceto Club, qui était alors le seul espace où ces artistes pouvaient se produire à l’époque. Au bout de 3 ans, le Zizek Club a donné naissance à ZZK Records, qui s’est rapidement imposé comme label pionnier de l’électro-folklore, utilisant à merveille des visuels éblouissants et proposant une musique inédite, intrigante et rythmée.

"Si au départ il fallait dénicher des soirées dans des centres culturels de banlieue ou des petits bars, ce sont rapidement Le Cabaret Sauvage ou encore la Bellevilloise qui ont accueilli ces artistes français ou latinos, activistes du mouvement de l’électro-folklore".

À son retour de Mendoza en 2015, Emile poursuit ses études et son mémoire à Paris à la rencontre des artistes de la scène électro-folklore parisienne. Il nous raconte son étonnement face au mouvement qui trouve un écho encore plus important qu’à Buenos Aires. Les politiques culturelles à Paris aident au développement de scènes nouvelles. C’est pour lui une véritable richesse pour les artistes sud-américains, comme La Yegros, qui se font souvent un nom en Europe avant d’être connus dans leur pays.

La mouvance tropicale à Paris a démarré autour de 2010, notamment avec la soirée Mama Cumbia Sound System et son DJ résident et programmateur Captain Cumbia, à la Dame de Canton. C’est sur ce bateau que commence à se fédérer la scène parisienne. Captain Cumbia y invite pendant 3 ans différents DJs et producteurs, notamment Rafael Aragon et Pedrolito, un argentin basé à Paris depuis 10 ans. Aujourd’hui, Captain Cumbia s’est déplacé à la Bellevilloise, où des soirées cumbia sont organisées régulièrement. Pedrolito, lui, a créé sa soirée Muevelo à l’Alimentation Générale sous un format club.

Ces mêmes activistes participent, à la même époque, à la venue des artistes latinos sur Paris, comme El Hijo de la Cumbia (Argentine), Dengue Dengue Dengue (Pérou), Bomba Estéreo (Colombie), et bien évidemment une grande partie de l’équipe de ZZK Records (Chancha Via Circuito, La Yegros, Frikstailers, etc.). Si au départ il fallait dénicher des soirées dans des centres culturels de banlieue ou des petits bars comme le Café des Sports ou Le Vieux Saumur, ce sont rapidement Le Petit Bain, Le Cabaret Sauvage, ou encore la Bellevilloise qui ont accueilli ces artistes français ou latinos, venant de différents pays d’Europe, activistes du mouvement de l’électro-folklore.

Le label ZZK Records à Buenos Aires, pionnier du mouvement et la nouvelle scène

Tombé amoureux de l’Argentine, Emile a sauté dans l’avion direction Buenos Aires quand l’opportunité s’est présentée de travailler pour le label ZZK Records un an après son retour à Paris. Une opportunité unique pour ce passionné d’électro-folklore plongé au cœur de l’effusion créatrice de ce nouveau genre porté par les artistes du label.

Les activités de ZZK Records s’étendent maintenant à tout le continent latino-américain. L’équatorien Nicola Cruz, ancien collaborateur du producteur américano-chilien Nicolas Jaar, fait danser le monde entier sur son hypnotisant « Andes Step », alors que Mateo Kingman et les autres membres du tout nouveau Aya Records (Quito, Equateur), second label de ZZK, sortent leurs premiers albums cette année.  Selon Emile, les scènes musicales de capitales comme Quito, Lima, Mexico ou Bogotá sont en train d’exploser, avec de jeunes artistes mélangeant leurs cultures et origines aux influences musicales venues du monde entier. Ce phénomène est d’ailleurs en train d’être documenté par ZZK Films, la branche audiovisuelle du label, via une série de documentaires qui sortiront d’ici 2017 avec le soutien de médias argentins, équatoriens et français.

Le mouvement électro-folklore n’a donc pas fini d’évoluer. Bien que restant très underground, ses représentants sont présents sur des scènes de plus en plus grandes, devant un public de plus en plus nombreux. En atteste la présence de Nicola Cruz au festival Sonar à Barcelone, la collaboration de Bomba Estéreo avec Will Smith en 2015 ou encore le succès rencontré par les soirées Muévelo à Paris, Guacamayo Tropical à Madrid, ou Movimientos à Londres. Comme le dit Emile : « On est en train de redécouvrir la richesse et la puissance d’une culture argentine et latino-américaine grâce à la musique électronique, et c’est génial ! ».

Plus d'infos
 ZZK Records

www.zzkrecords.com

AYA Records

www.ayarecords.net

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