Rassemblement du mouvement "Nuit Debout" à la Place de la République. Paris, 2016.

C’est au printemps 2016 que je croise Francis Azevedo pour la première fois. Il parcourt la place de la République avec son appareil pour saisir et immortaliser l’émergence du mouvement Nuit debout.

Moi-même ayant été témoin au Brésil des mouvements sociaux de 2013, son regard sur les évènements actuels en France attise ma curiosité tout comme sa vision du Brésil depuis qu’il vit en France.

Mathieu Guyot : Francis, toi qui a grandi au Brésil, qu’est ce qui t’a amené jusqu’en France ?

Francis Azevedo : J’ai grandi au Brésil dans l’état de Bahia d’où je suis originaire. Mes parents sont des paysans comme il y en a beaucoup dans le Sertão de Bahia, une région rurale du Brésil. C’était les premières années du mandat de Luiz Inácio Lula da Silva et j’ai pu bénéficier de l’ascension sociale d’une partie de la classe plus défavorisée de l’époque. Cela m’a aidé à intégrer l’université publique à Recife (ville du nord-est) pour un cursus de travailleur social. C’est pendant mes années d’études et un échange universitaire en 2011 que j’ai découvert pour la première fois la France. Je n’en suis depuis jamais parti. Je suis venu en France pour découvrir d’autres horizons et apprendre de nouvelles choses afin d’élargir la perception de mes connaissances.

Francis Azevedo.

Francis Azevedo.

M.G. Tu étais en France lors des mouvements sociaux de 2013 au Brésil, comment as-tu vécu cela depuis la France ?

F.A. Dès le début des mouvements sociaux au Brésil, j’ai suivi cela sur les réseaux sociaux et notamment au travers du réseau d’activistes Anonymous Brasil ou de médias indépendants comme Midia Ninja, Juntos et A Nova Democracia parmi d’autres. Des catalyseurs médiatiques très importants pour le mouvement face aux médias traditionnels conservateurs comme Globo. Même si je vivais cela de loin, c’était pour moi une joie immense de voir une grande partie de la jeunesse brésilienne sortir soudainement dans la rue pour défendre ses droits. Je pensais la société brésilienne endormie à jamais et cette prise de conscience était pour moi un grand pas vers le progrès social au Brésil.

Il s’agissait d’un mouvement spontané, loin des bases des partis politiques et qui a eu comme déclencheur l’augmentation du prix du transport public. On parle en Portugais de « la révolte du bus » ou « a revolta do buzu ». Au Brésil, la vie politique est très marquée par les partis, comme si on était des supporters d’une équipe de football, de manière parfois trop religieuse. Voir émerger un mouvement citoyen apolitique a été pour moi une grande surprise.

-

-

M.G. Les réformes sur le droit du travail en France ont provoqué cette année une vague de contestations sociales, dont le mouvement citoyen Nuit debout. Quel est ton regard sur ces évènements par rapport à ce que tu as connu au Brésil ?

 F.A. Tout d’abord, ce qui s’est passé au Brésil n’est pas différent de ce qui se passe en France ou de ce qui s’est passé aux Etats-Unis avec Occupy Wall Steet, en Grèce ou même en Espagne avec les Indignados. Tous ces mouvements ont leurs spécificités notamment culturelles et sociales mais ils résultent tous d’une même crise profonde : celle du capitalisme des trente dernières années dans son expression la plus néolibérale. Je ne suis pas sociologue mais ce que je ressens est qu’il existe une crise sociale qui est liée à l’incrédulité vis-à-vis du pouvoir hégémonique en place et la montée des inégalités sociales. Ceci facilite la naissance de ces mouvements comme Nuit debout.

Je suis content de participer à ce mouvement en France d’autant qu’il évolue aussi avec ses singularités. Il est porteur de véritables alternatives aux systèmes actuellement en place. La réflexion est peut-être plus avancée concernant la construction d’un projet sociétal plus progressiste et émancipateur que celui proposé par les classes dominantes. La recherche d’autres formes de démocratie comme alternative à la démocratie représentative se dessine de manière un peu plus évidente ici en France qu’ailleurs.

M.G. Quelle est ta vision de la société brésilienne après plus de quatre ans de vie en France ? Et que penses-tu de la destitution de Dilma Rousseff ?

F.A. Malgré le soubresaut de 2013, je comprends moins la société de mon pays. J’ai l’impression que nous sommes des grands enfants et que nous oublions trop souvent quelles sont nos réalités sociales.

En conséquence, nous retrouvons au Brésil les symptômes d’une société qui est malade mais qui reste dans un état de léthargie incapable de faire face aux pouvoirs en place et de mettre en question les intérêts individuels de ces élites. J’espère que les évènements de 2013 vont donner naissance à d’autres mouvements apolitiques et citoyens. Mais peut-être que les gens n’ont pas encore pris conscience de la vraie question : où est-ce qu’on va ? Ce qui s’est passé avec la destitution de Dilma est très grave comme le montrent les accusations de corruption qui portent sur ses successeurs au gouvernement et sur ceux qui ont orchestré sa destitution. Mais défendre son retour c’est peut-être aussi laisser passer un moment d’ébullition sociale propice à des changements plus profonds. Le retour de Dilma ne changera pas grand-chose à ce que le pays a toujours été. Défendre la continuité du régime mis en place par son successeur c’est bien sur approfondir la crise. Mais ne pas résoudre ces conflits c’est continuer à tâtonner illusoirement dans la recherche de démocratie. Si les ficelles continuent à êtres tirées d’un coté puis de l’autre, le Brésil n’est pas loin d’une guerre civile.

M.G. Quel futur peut-on imaginer dans ce contexte politique et économique?

F.A. Je reste très pessimiste quand je vois comment en France la nouvelle loi du travail a été imposée pour ainsi dire de force aux citoyens. Ceci dans un pays qui quand je suis parti du Brésil représentait pour moi l’exemple même d’un pays avec une forte tradition politique et démocratique. Une loi qui répond à certains dogmes économiques. La manière dont elle a été passée nous pose la question du degré de décision des citoyens dans la vie en société. Sans aller jusqu’au Brésil, cet exemple montre que même en France les politiques élus ne représentent et ne gouvernent pas dans le sens des intérêts de leurs électeurs. On est, selon moi, à un point de rupture avec une prise de conscience citoyenne collective globale qui doit s’opposer frontalement aux dérives néolibérales actuelles.

Plus d'infos

www.francisazevedo.com

Newsletter

Inscrivez-vous pour recevoir les derniers articles


Top