La Borinqueña.

À Porto Rico, on chante deux hymnes nationaux : La Borinqueña révolutionnaire et La Borinqueña coloniale, et il y a trois drapeaux, chacun coloré d’une nuance de bleu représentant les trois avenirs envisagés pour le pays. Les mots « Porto Rico » défient les définitions des mots « nation », « peuple », et « patrie ». Le poète Juan Antonio Corretjer avait dit qu’ « il est possible d’être Portoricain, même en naissant sur la lune », cette phrase nous rappelle que nous sommes nombreux à ressentir dans nos cœurs la souffrance de notre île, même si géographiquement nous sommes très loin d’elle. Dans La Borinqueña #1, Edgardo Miranda-Rodríguez nous présente la grande épopée d’une héroïne qui va bouleverser la diaspora boricua (comprendre les Portoricains).

Marisol, héroïne toujours en mouvement

La Borinqueña #1 raconte l’histoire de Marisol Ríos de la Luz, une jeune fille afro-boricua, étudiante en sciences environnementales à l’Université de Columbia à New York, qui décide de compléter ses études à l’Université de Porto Rico. Un jour, Marisol trouve la estrella del camino, « l’étoile du chemin ». Selon les taïnos (ancêtres indigènes des Portoricains) ce cristal possède des pouvoirs magiques. C’est grâce à celui-ci que Marisol devient La Borinqueña, une super-héroïne portoricaine. Écrite en spanglish, cette bande dessinée est le résultat de la dissémination du peuple de Porto Rico : les Portoricains qui habitent aux États Unis par exemple, sont plus nombreux que ceux qui habitent dans l’île. Ainsi, il y a le Porto-Rico de Brooklyn ou celui de Luquillo ; c’est une culture bilingue (nous parlons l’espagnol et l’anglais) et qui habite dans le passé et dans le futur… Cette histoire n’est pas seulement Portoricaine : toutes les communautés latino-américaines éprouvent l’expérience du déracinement, de l’errement, de l’exil à la recherche d’un avenir meilleur ou d’un refuge politique.

Chaque plan de La Borinqueña #1 raconte l’histoire exemplaire d’un peuple toujours en mouvement. Le quartier nuyorrican (nom des Portoricains qui habitent à New York) de Los Sures à Brooklyn, par exemple, porte le drapeau portoricain et les panneaux dans la rue brillent des noms des salseros des années 1980. Mais New York n’est qu’une ville parmi la multitude des villes qui portent notre drapeau.

Les précurseurs de la Borinqueña sont à Paris 

Au XIXe siècle, l’ambition de se libérer de la tyrannie espagnole a fait trembler les Antilles. À Porto Rico, el Grito de Lares, « le Cri de Lares, » le 23 septembre 1868, fut le moment culminant d’une grande collaboration entre les révolutionnaires portoricains et les exilés, pour se rebeller contre la domination espagnole. Ramón Emeterio Betances est la principale figure et le précurseur du mouvement indépendantiste à Porto Rico. Il quitte l’île à l’âge de dix ans pour Toulouse, en France, où il finit ses études. Il y reste de 1837 à 1846. Après quelques années passées à Porto Rico, il retourne en Europe, cette fois comme étudiant en médecine.

Durant son passage par l’Université de Paris, R.E. Betances a rencontré d’autres précurseurs portoricains : Ramón Baldorioty de Castro, José Julián Acosta et Segundo Ruiz Belvis. C’est dans la capitale française qu’ils envisagent de construire la Bibliothèque de l’Histoire de Porto Rico, une vaste compilation de documents et de littérature qui a pour but de réconcilier le passé et le présent de l’île. R.E. Betances vécut le reste de ses jours entre la France et son pays, quand le climat politique le permettait. Néanmoins, depuis son exil à Paris, il anime la lutte pour l’indépendance, en défiant toujours l’hégémonie espagnole. En 1898, l’année qui marque la cession de Porto Rico aux États Unis – grâce au Traité de Paris de 1898 –, R.E. Betances meurt à l’âge de 71 ans dans sa résidence parisienne.

En suivant « l’étoile du chemin »

La Borinqueña #1 respecte les traditions du monde de la bande dessinée. Nous le voyons dans les références à l’histoire et à la mythologie portoricaines, dans les parallèles avec la vie réelle et aussi dans les citations cachées qui rappellent certains clichés du neuvième art. Le professeur Herb Robles, conseiller pédagogique de Marisol, est un exilé portoricain qui habite à New York depuis vingt ans. La rumeur dit que H. Robles écrivit un livre intitulé La estrella del camino quand il était encore professeur à l’Université de Porto Rico. L’étude est basée sur la légende des taïnos qui parlait d’une étoile puissante.

La bande dessinée est un art d’icônes et de symboles. Elle condense messages et significations pour produire des images nettes et vivantes. Ce livre est inspiré des évènements du Grito de Lares et du premier hymne national, La Borinqueña (version révolutionnaire). La Borinqueña #1 rend hommage à ce soulèvement. Dans son œuvre, E. Miranda-Rodríguez habille d’ailleurs son protagoniste d’une cape et un costume bleus qui rappellent le premier drapeau national utilisé lors de la révolte.

Edgardo Miranda-Rodríguez (accompagné de sa famille) avec le maire de New York, Bill de Blasio, lors de la remise d'un prix à son travail artistique.

Edgardo Miranda-Rodríguez (accompagné de sa famille) avec le maire de New York, Bill de Blasio, lors de la remise d'un prix à son travail artistique.

Marisol est La Borinqueña, héroïne capable d’aller contre vents et marées grâce aux pouvoirs des déités taïnos qu’il y a dans l’étoile qu’elle porte sur son costume. Elle incarne la vision que R.E. Betances envisagea lors de son exil à Paris et que E. Miranda-Rodríguez écrivit dans son bureau à New York.

C’est à ce moment que la trame se complique, en questionnant l’histoire « officielle » de Porto Rico. Le personnage de Marisol nous invite à réfléchir sur les forces qui ont bouleversé l’histoire de notre pays. Après R.E. Betances et H. Robles, c’est Marisol qui doit déterrer le passé et trouver la vérité.

L’avenir du peuple

Certainement, l’histoire de Porto Rico peut être facilement intégrée au monde des bandes dessinées. La combinaison du « réalisme magique » propre aux comics et de l’imaginaire des super-héros nous permet d’affirmer que Porto Rico est Macondo, (la cité rêvée de Gabriel García Márquez), représentation de l’expérience universelle latino-américaine. La réalité du latino exilé est celle de Marisol, une fille du commun des mortels qui en vient à incarner sa communauté. En tant qu’œuvre littéraire, La Borinqueña #1 fait partie d’un fleuve culturel qui connecte les latino-américains partout dans le monde. Atabex, déesse taïno, a bien dit à Marisol : « Je suis le torrent qui traverse ta conscience. C’est l’amour pour le peuple. »

Souhaitons que l’œuvre de E. Miranda-Rodríguez, grande épopée bilingue portoricaine, marquera une nouvelle ère de la littérature latino-américaine, une ère qui brouille les frontières entre les langues et reflète une identité latino-américaine moderne qui conteste la pureté de la langue. L’ambigüité et la poésie ont toujours caractérisé la littérature latino-américaine. Les latinos d’aujourd’hui méritent une œuvre d’art à l’image de leur réalité : ce n’est qu’une question de temps avant qu’arrivent des œuvres bilingues en espagnol et français.

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