À gauche : Ana Millaleo, collodion humide sur plaque de verre. À droite : Kuriche, collodion humide sur plaque de verre. ©Ritual Inhabitual.

Un peu d’histoire et les Mapuches aujourd’hui dans le contexte chilien

Le peuple Mapuche (ou « les gens de la terre ») a d’abord résisté à l’invasion des Incas avant de réussir l’exploit de ne pas fléchir face à l’arrivée des conquistadors espagnols dans le centre du Chili en 1536. Autrefois connus sous le terme de Araucans (dérivé du nom de la région appelée Araucania), ces chasseurs-cueilleurs et également pêcheurs empruntèrent aux Incas l’agriculture et l’élevage et aux espagnols la pratique de monter à cheval, pour finalement devenir de redoutables cavaliers.

À la fin du 19ème siècle, les chiliens et les argentins adoptèrent une démarche très agressive pour expulser les autochtones et coloniser leurs terres ancestrales. La grande violence dont ils firent preuve reste un sujet délicat à aborder et le climat entre chiliens et mapuches reste encore aujourd’hui assez tendu. Au XXème siècle, les mapuches s’étaient déjà vus privés de 90% de leurs territoires, et les pressions sur leurs terres persistent de nos jours malgré la mise en place de timides mesures légales de protection.

Machi Helena Calfuleo, collodion humide sur plaque de verre, ©Ritual Inhabitual.

Machi Helena Calfuleo, collodion humide sur plaque de verre, ©Ritual Inhabitual.

Les mapuches forment aujourd’hui une communauté comptant près d’un million de personnes se revendiquant Mapuche, dont 900 000 personnes rien qu’au Chili. La moitié vit dans les centres urbains, bien loin de leurs terres d’origines. L’exode rural se poursuit actuellement au Chili principalement à cause de l’accroissement démographique et des transformations environnementales résultant de la pression foncière.

Plusieurs groupes composent le peuple mapuche tels que les Lafkenches près de la côte, les Pehuenches dans les montagnes ou les Hulliches de l’île de Chiloé. Certains d’entre eux sont également basés en Argentine. Ce sont les Lafkenches que sont allés rencontrer le collectif Ritual Inhabitual, composé de Florencia Grisanti et Tito Gonzalez García, tous deux chiliens d’origine.

À gauche : Kollon, collodion humide sur plaque de verre. À droite : Machi Pedro Panchillo, collodion humide sur plaque de verre, ©Ritual Inhabitual.

À gauche : Kollon, collodion humide sur plaque de verre. - À droite : Machi Pedro Panchillo, collodion humide sur plaque de verre, ©Ritual Inhabitual.

Les photographies de Ritual Inhabitual et la représentation ethnographique

La photographie ethnographique est au centre de leur recherche. Les membres de Ritual Inhabitual s’interrogent sur la manière de présenter et représenter une culture, un peuple.

En effet, la photographie ethnographique, dépourvue de son approche scientifique peut contribuer à un imaginaire collectif biaisé. De nos jours, c’est plus souvent le sujet photographié lui même qui choisit la manière selon laquelle il souhaite se représenter. Tito et Florencia racontent que c’est souvent ce qui leur est arrivé avec les Mapuches.

Ce qui n’a rien d’étonnant dans une époque où règnent en maîtres le smartphone et le selfie, car aujourd’hui chacun peut forcer une image de soi sur les autres. Pour Florencia et Tito, imposer ainsi l’image selon laquelle on souhaite être perçu est une démarche contestataire et un parti pris très intéressant pour la photographie ethnographique.

De plus, en utilisant une technique photographique tout à fait atypique datant de 1851, le collodion humide sur plaque de verre, les deux artistes revendiquent une approche quasi rituelle de leurs rencontres avec les différents acteurs de la communauté Mapuche.

« La difficulté de parler des mapuches en tant que chilien était également au cœur des interrogations de Florencia et Tito. D’après eux, deux sentiments très paradoxaux se confondent entre la culpabilité et le déni. »

Pour l’exposition au musée de l’Homme, rappeurs, chamanes et évangélistes ont été placés côte à côte sur un mur où sont rapportées des anecdotes récoltées au cours de leur rencontre avec le collectif. La durée de la prise de vue est de trois secondes au minimum et toute l’installation et le préambule que demande cette technique implique un rapport plus riche entre le sujet photographié et le photographe qu’un simple clic d’appareil photo traditionnel.

Qu’il s’agisse des jeunes rappeurs de la banlieue de Santiago ou des communautés amérindiennes catholiques et les acteurs contemporains des principaux rituels mapuches, tous ont accepté de se plier aux conditions qu’impose cette technique. Mais en faisant parfois des demandes explicites dans leur façon d’être représenté, certains ont rendu les photographies d’autant plus pertinentes dans la recherche artistique engagée par les artistes, offrant le regard qu’ils souhaitent voir posé sur eux-mêmes, la façon dont ils se voient ou souhaiteraient être vus.

À gauche : Oscar Antvelf, collodion humide sur plaque de verre. À droite : PukutrinÞuke, collodion humide sur plaque de verre. ©Ritual Inhabitual.

À gauche : Oscar Antvelf, collodion humide sur plaque de verre. - À droite : PukutrinÞuke, collodion humide sur plaque de verre. ©Ritual Inhabitual.

La difficulté de parler des Mapuches en tant que chilien était également au cœur des interrogations de Florencia et Tito. D’après eux, deux sentiments très paradoxaux se confondent entre la culpabilité et le déni. De fait, ils pensent que deux possibilités ou plutôt deux options s’offrent à eux en tant que chiliens, en tant que peuple colonisateur : se laisser envahir par la culpabilité de ce qu’il s’est passé et la violence que ce peuple a subit, ou avancer dans un certain déni de réalité.

Le rapport aux plantes

Les chercheurs du département « Hommes, Natures, Sociétés » du Muséum national d’histoire naturelle ont collaboré avec le collectif Ritual Inhabitual dans l’étude des plantes utilisées par le peuple mapuche. En effet, les pratiques rituelles et la connaissance des plantes se maintiennent encore aujourd’hui et elles se transmettent et se transforment d’une génération à la suivante.

Chaque plante a ses propres vertus et peut être utilisée pour des usages bien différents. La diversité des utilisations associées à ses plantes est considérable, allant de la construction des habitations traditionnelles à l’artisanat, de l’alimentation à la confection de remèdes médicinaux, ou encore pour les rituels.

À gauche : Lobelia tupa, tabaco del diablo, collodion humide sur plaque de verre. À droite : Lapageria rosea - Copihue, collodion humide sur plaque de verre. ©Ritual Inhabitual.

À gauche : Lobelia tupa, tabaco del diablo, collodion humide sur plaque de verre. - À droite : Lapageria rosea - Copihue, collodion humide sur plaque de verre. ©Ritual Inhabitual.

En plus de la diversité d’utilisation de ces plantes, l’herbier constitué à la suite de cette collaboration met également en lumière la diversité des plantes qui existent dans la région.

Les plantes sont au cœur de la culture mapuche, indissociable de leurs traditions et leur quotidien.

La méthode choisie de la photographie via la technique du collodion humide sur plaque de verre, impliquant une rencontre approfondie avec chacun des sujets photographiés et leur approche intellectuelle au sujet m’a paru assez convaincante en tant que chilienne d’origine. Mais chacun transporte avec lui ses critiques et interrogations sur ce que la représentation ethnographique impose et la difficulté de transposer une idée d’un peuple par le biais d’une image, puisqu’un regard n’est jamais neutre et une seule idée jamais totalement représentative.

Bencinera, collodion humide sur plaque de verre, ©Ritual Inhabitual.

Bencinera, collodion humide sur plaque de verre, ©Ritual Inhabitual.

Pour finir, voici une vidéo présentant les coulisses de la réalisation des photographies à l’occasion de l’exposition d’abord réalisée au Chili, un argument de plus pour s’intéresser de plus près à la culture mapuche et ses acteurs contemporains.

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