Ciudad Juarez (Mexique) et El Paso (Etats-Unis), les deux villes sont collées l'une à l'autre.

Chihuahua

Quand je dis que j’ai vécu à Chihuahua, tout au nord du Mexique, les gens me demandent souvent « mais qu’est-ce que tu as bien pu aller faire là-bas ? ». Pour bien des mexicains, Chihuahua évoque en effet surtout la violence de la « guerre contre la drogue », menée par le gouvernement mexicain depuis maintenant plus de dix ans. Ciudad Juarez, située à l’extrême nord de l’État de Chihuahua, à la frontière avec les Etats-Unis, a ainsi été considérée, entre 2008 et 2012, comme la ville la plus violente au monde. Depuis, le niveau de violence a beaucoup baissé, mais ce n’est pas pour autant exactement devenu une zone touristique… Ce n’est donc pas en tant que touriste ou étudiante en échange universitaire que j’ai vécu là-bas, mais en tant que volontaire pour une organisation non-gouvernementale internationale, Peace Brigades International (PBI), dont l’objectif est d’apporter protection et soutien à des défenseurs des droits de l’homme menacés en raison de leur travail, dans des zones de conflit.

 

Ville de Chihuahua, Mexique.

Ville de Chihuahua, Mexique.

Protéger, en étant présents

PBI est né au début des années 80 dans le contexte des conflits armés en Amérique centrale, autour d’un concept assez simple : envoyer des internationaux auprès d’activistes menacés, afin que la présence physique à leurs côtés décourage toute attaque à leur encontre. L’objectif était d’incarner ainsi la préoccupation de la communauté internationale et d’augmenter le « coût politique » de ces attaques : pour bien des Etats, que des internationaux soient tués, blessés ou tout simplement témoins de violences à l’encontre de représentants de la société civile, cela « fait tache » et risque d’attirer une attention internationale non désirée sur ce qui se passe dans le pays.

Depuis, le concept s’est largement étoffé et PBI œuvre à apporter une protection internationale intégrale à ces défenseurs, qui passe par l’accompagnement physique mais également par la construction et la mobilisation de réseaux de soutien internationaux pouvant réagir en cas d’urgence, par le dialogue régulier avec les autorités civiles et militaires, par le renforcement des capacités de la société civile en matière de sécurité et protection et par des activités de communication et plaidoyer au niveau international. Le principe de non-ingérence est au cœur du mandat de PBI : il ne s’agit à aucun moment d’agir à la place de ceux qui disposent de la majeure légitimité à agir, les acteurs locaux, mais de faciliter et protéger leur travail. À l’heure actuelle, les équipes de volontaires PBI effectuent ce travail d’accompagnement protecteur en Colombie, au Guatemala, au Honduras, au Kenya et au Mexique.

Manon Yard (à gauche), accompagnée de son équipe de travail au Mexique.

Manon Yard (à gauche), accompagnée de son équipe de travail au Mexique.

Quel engagement sur le terrain ?

Le volontaire PBI type est, en général, âgé de 25 et 35 ans, et de sexe féminin (il y a environ 1/3 de volontaires hommes) et provient plutôt d’un pays européen ; mais la tendance change et nous retrouvons de plus en plus de volontaires latino-américains (Chiliens, Mexicains et Colombiens en tête) sur le terrain, dans la région. L’engagement comme volontaire dure entre un an et un an et demi et tous les frais (hors vacances et loisirs) sont couverts par l’organisation.

En ce qui me concerne, j’ai passé une année à Chihuahua en 2014-2015 dans une « petite » équipe (de 4 à 6 personnes), chargée de couvrir deux Etats, ceux de Chihuahua et Coahuila, qui comptent parmi les plus étendus du Mexique ! Mes coéquipiers provenaient d’Italie, de Suisse, du Chili, du Portugal, d’Irlande et des Pays-Bas. Chaque volontaire était le référent d’une organisation accompagnée ; moi j’étais en relation avec le Centre de Droits de l’Homme Paso del Norte, une organisation de Ciudad Juarez qui travaille principalement sur des cas de torture et de disparition et accompagne les familles des victimes.

C’est d’ailleurs à Ciudad Juarez que je me suis déplacée pour la première fois (les déplacements se font toujours à deux et avec les t-shirts ou gilets PBI qui permettent de nous identifier) et, avant de partir, honnêtement, je ne faisais pas la fière ! Mais en réalité je ne me suis jamais sentie mise en danger au cours de cette année, en grande partie parce que PBI accorde une très grande importance à la sécurité de ses volontaires : une analyse de la situation de sécurité est faite régulièrement et avant tout nouveau voyage, de nombreux protocoles de sécurité sont en place et nous informons toujours les autorités ainsi que nos ambassades de nos déplacements.

Le Mexique, entre souffrance et courage

Ce qui m’a le plus marqué au cours de mon année : tout d’abord, la thématique des disparitions, extrêmement forte dans le nord du Mexique et qui est devenue omniprésente dans tout le pays en 2014 avec la disparition de 43 étudiants de l’École Normale d’Ayotzinapa (État du Guerrero). Ce n’est malheureusement en aucune manière un cas isolé, mais il aura permis de révéler à la communauté internationale l’ampleur du drame que vivent des milliers de familles de disparus, les obstacles et les risques qu’elles ont à affronter au quotidien dans leur quête de la vérité, mais également l’implication (par action ou par omission) des forces étatiques dans bien des cas de disparition.

La souffrance des familles de personnes disparues, la torture permanente que représente l’incertitude sur le sort d’un être cher, ce sont des choses que je ne pourrai jamais oublier. Ce qui m’a aussi marqué du début jusqu’à la fin de ma mission avec PBI, c’est le courage des défenseurs que j’ai rencontrés. Courage tout simplement de rester dans une ville ou une région gangrenée par la violence, où tout pousse à partir ; courage aussi de s’engager, de défendre des causes mal perçues par la population, au péril de sa propre vie et de celle de son entourage. Ca a été pour moi une vraie inspiration que de rencontrer ces personnes et un honneur d’avoir pu contribuer, à mon échelle, à leur protection.

Manon Yard (à droite) lors d'un atelier de formation avec les membres d'une organisation accompagnée par PBI.

Manon Yard (à droite) lors d'un atelier de formation avec les membres d'une organisation accompagnée par PBI.

À mon retour du Mexique… j’étais crevée ! C’était une année riche en émotion et le rythme de travail dans une équipe PBI est intense. En même temps, c’était aussi sans aucun doute l’expérience la plus passionnante que j’ai vécue, elle m’a transformée et rendue plus sensible à la souffrance, à l’injustice et à l’impunité. Je souhaitais donc mettre à profit mon expérience de terrain en contribuant à rendre plus visible au niveau international le travail de ces personnes engagées dans la lutte pour le respect de leurs droits, ce qui constitue pour eux un véritable facteur de protection, tout en revenant à une vie un peu plus « normale » (ne pas me préoccuper de la sécurité ou du couvre-feu, retrouver des horaires de travail acceptables, ou encore faire du vélo !). J’occupe ainsi depuis un peu plus d’une année et demie le poste de coordinatrice de plaidoyer pour PBI Suisse à Genève, cela me permet d’allier les deux !

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