À 18 ans, Jorge Amado nous offre son premier roman « O Pais do Carnaval ». Quelques dizaines de pages qui scénarisent brillamment le portrait de la société brésilienne des années 1930 et nous emmène brièvement dans l’ivresse bien symbolique du carnaval.

Ce livre court mais intense parcouru dans l’avion qui doit nous poser à Recife, la première escale d’un voyage qui commencera à Olinda. En ces jours de février, la ville vibre traversée par les premières ondes du carnaval. Impossible d’ignorer cette ferveur et en tout bon routard curieux que nous sommes on ne réfléchit pas deux fois à passer ces quelques jours à Olinda.

Nous nous installons dans une maison au cœur d’Olinda avec six amis français, novices du carnaval pour les uns, habitués pour les autres. Que la fête commence ! Pas de repère ici dans ce qui est l’un des plus vieux carnavals de rue ici au Brésil. Né au début du XXème siècle avec les clubs carnavalesques, il se développe dans les années 1930 au moment où l’on aperçoit les premiers défilés de ces gigantesques marionnettes appelées les « bonecos ». D’ailleurs, le défilé le plus connu « homen da meia noite » (homme de minuit) existe depuis 1932 et continue encore aujourd’hui !

Carnaval rime avec musique, danse et déguisements « fantasias » en portugais évidemment. À Rio de Janeiro, la Samba au Sambodrome (avenue où se déroule le défilé), à Olinda, le Frevo [1] dans la rue. Cette danse traditionnelle de la région de Pernambouc rythme le carnaval avec ses airs qui traversent le temps : “Hino do Elefante” ou “Madeira que Cupim não Rói” repris par tout le monde, de la star locale Alceu Valença à nous.

Olinda : un hymne à la vie et une ode aux choses simples

Première matinée, nous partons, sourire aux lèvres, fièrement déguisés et décorés de paillettes pour aborder les rues en pente d’Olinda : les fameuses « ladeiras ». Les premières caipirinhas et « cervejas bem geladas » (bières très froides) nous mettent dans l’ambiance festive de ces rues bondées, desquelles émergent un joyeux chaos musical et festif.

On comprend vite qu’il n’y a rien à comprendre et qu’il faut se laisser porter par la musique, les rencontres, les sourires, la chaleur humaine et le soleil. Pas de plan si ce n’est de se perdre et de se retrouver. Cerveja, cerveja, jurubeba, axé, água, água…Tous les styles, tous les âges, toutes les couleurs de peau mélangés mais toujours autant de tradition.

La fête, la vraie, un hymne à la vie et une ode aux choses simples et spontanées : la musique, les amis, la famille, la danse tous ensemble dans la bonne humeur sans regarder le temps qui passe. Le bloco (défilé) et son orchestre « Eu acho e pouco » [2] qui se transmet de génération en génération témoigne de ce qu’est le carnaval à Olinda : populaire.

La fête se fait dans les rues de Recife

Quelques jours où l’on arrête le temps. Un petit choc culturel trois jours seulement après avoir quitté Paris. Et la bonne nouvelle se poursuit quand, au détour d’une conversation, nous apprenons que le carnaval continue le soir même à Recife, la ville voisine et ses immeubles modernes. Ici, il y a des concerts organisés pour tous. La culture ne divise pas, ne sépare pas. Imaginez un concert gratuit de votre star préférée dans un quartier défavorisé en banlieue parisienne.

Nous sommes allés au concert de la grande chanteuse brésilienne, Vanessa Da Mata [3], dans le quartier populaire de Campo Grande. Là-bas, un mélange d’habitants assistait au show depuis leurs fenêtres ou devant la scène. Des fans de la chanteuse venus pour l’occasion, plutôt jeunes, mêlant classes moyennes supérieures et populaires. Le carnaval est une fête pour tous.

La couleur noire pour revendiquer ses droits

À l’opposé, on peut voir certaines soirées où des stars se produisent à des prix exorbitants, et donc forcément un carnaval réservé aux classes très aisées. Ces fameux « camarotes » [4] qui sont des sortes d’espace VIP taille XXL où les « rich and famous » se réunissent. Dans un décor quelconque en bordure du périphérique, c’est là que nous sommes rentrés dans l’une de ces fêtes qui sonnent comme un retour à la réalité.

Loin des traditions, ici carnaval rime avec modernité. Un entre-soi assez cocasse s’il ne reflétait malheureusement pas la fracture sociale immense du Brésil. Même s’il on s’y mélange aisément et que l’on passe évidemment un bon moment, cela reste un carnaval au goût amer.

Il existe un grand écart avec les « blocos » du carnaval de rue à Olinda, où des classes moyennes aux classes populaires font la fête et revendiquent le droit de vivre dignement. C’est ici, dans le « bloco » Pre Sal [5] que l’on s’est retrouvés recouverts de noir pendant que l’on dansait comme des fous. Cette peinture, qui semble être du pétrole, est en fait symbolique pour protester contre l’abrogation d’une loi par le gouvernement de Michel Temer, actuel président. Une loi de l’ancien président Lula da Silva qui oriente l’argent du pétrole pour le financement de l’éducation et la santé. Le carnaval pour défendre un droit social, c’est aussi ça.

Quatre jours de fête, du matin au soir. Des déguisements perdus et retrouvés. Des rencontres et beaucoup de sourires. Au final, le carnaval ce sont les gens, tous les gens réunis pour partager un bon moment dans la bonne humeur. Et si finalement, aller au carnaval c’était cela : résister à ce monde en accéléré, consumériste et individualiste ? [6].

Newsletter

Inscrivez-vous pour recevoir les derniers articles


Top